Eldorado en observation

Javier Inzaurgarat Traduit de l'espagnol (Argentine) par Alexis Dedieu
En 1993, Sir Richard Attenborough adapta au cinéma sous le titre des Ombres du cœur [Shadowlands], un essai de Clive Staples Lewis sur la douleur, Apprendre la mort. Cet émouvant essai déroulait un ensemble de réflexions sur la perte, la solitude, l'amour, Dieu et le vide que son absence provoqua. L'écrivain anglais, profondément ému par la mort de celle qui était sa femme, la poétesse nord-américaine Joy Gresham, emportée par un cancer, déploya toute sa puissance littéraire et intellectuelle à se poser des questions probablement sans réponse, hormis celles que notre vécu peut nous apporter en cette vie.

Dans l'adaptation cinématographique, l'Eldorado est représenté par un tableau accroché au mur de la chambre de l'écrivain. Il ne sait pas exactement où se trouve le paysage qui est peint, et devant la question de savoir s'il s'agit d'un lieu réel, il répond seulement qu'il croit qu'il porte le nom de « Vallée dorée ». Serait-ce un tableau singulier ?
« Dans un certain sens, oui. Il était sur le mur de ma chambre quand j'étais enfant. À ce moment-là je ne savais s'il existait réellement, je croyais qu'il s'agissait d'une image du paradis », confie le héros. « J'avais coutume de penser qu'un jour, au détour d'un chemin, ou au sommet d'une colline, je tomberais sur lui ». Après qu'il eut appris la maladie de sa femme et face à la brève échéance qu'elle leur laissait, ils entreprirent ensemble de rechercher cette vallée que fut naguère pour l'écrivain enfant un paradis perdu. Ils se rendirent compte que la Vallée dorée longeait une rivière, et qu'elle se nommait en réalité « La Vallée de l'eau ». La confusion venant de ce que l'expression « eau » en gaélique [dwr], sonnait comme le mot « d'or » en français. C'est alors que l'auteur du Monde de Narnia éprouva le bonheur qu'il observa si souvent sur le tableau, et que sa femme lui confia : « Le bonheur d'aujourd'hui fait partie de la souffrance d'autrefois, voilà le pacte ».

C.S Lewis écrirait dans un fragment de son essai :

« Un moment vécu l'autre nuit peut être décrit en parabole : il serait impossible de l'exprimer autrement par le langage. Imaginez un homme dans une obscurité totale. Il pense qu'il se trouve dans une cave ou un donjon. Un bruit se produit alors. Il pense qu'il pourrait s'agir d'un bruit très lointain - des vagues, ou le vent dans les arbres, ou un troupeau à un demi-mile de distance. Et si c'est le cas, ça prouve qu'il n'est pas dans une cave, mais dehors à l'air libre. Ou encore il pourrait s'agir d'un bruit beaucoup plus faible et tout proche - d'un rire étouffé. Et si c'est le cas, c'est qu'il y a un ami tout près de lui dans le noir. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'un bruit agréable, favorable. Je ne suis pas assez fou pour faire dire quoi que ce soit à une expérience de la sorte. C'est simplement une idée que j'aurais toujours admise en théorie, qui fait le saut dans l'imagination active - l'idée que, comme n'importe quel autre mortel, je pourrais une fois ou l'autre me tromper du tout au tout sur ma situation réelle » .
*Clive Staples Lewis, Apprendre la mort, Editions du Cerf, Paris, 1974, 128 p. Traduction de J. Prignaud et T. Radcliffe