Pedro m'a raconté, autour d'un verre, l'histoire qui lui avait fait détester la papaye. Il était alors avocat indigéniste, espagnol, passionné, beau. Dans les années soixante-dix, il exerçait en Amazonie péruvienne, plus spécifiquement dans la zone de l'Alto Marañón, dans la région Aguaruna. Les Aguarunas ou Aguayún ont toujours été une communauté combative. À l'arrivée d'organisations comme « Racimos de Ungurahui » – celle dans laquelle Pedro travaillait –, ils ont pu se regrouper en assemblées, créer un support légal et obtenir une représentativité pour défendre leur revendications sur les territoires, et leurs droits en tant que communauté, non seulement vis-à-vis de l'étranger, mais aussi vis-à-vis de l'État péruvien.
Pendant l'année 1979 Werner Herzog préparait le tournage de Fitzccarraldo. La région retenue était l'Alto Marañón. Les conditions offertes par la production, les atteintes à l'environnement, et envers la communauté ont compliqué la négociation avec les Aguarunas et les Huambisa. La production de Herzog avait négocié avec l'État péruvien, mais les décisions ont été prises de façon unilatérale, sans consultation des assemblées Aguayún. Les populations de ce territoire ont paralysé le tournage dans la région, et une des conséquences a conduit à ce que l'État péruvien demande l'arrestation de Pedro et d'autres professionnels pour « faire obstacle aux investissements étrangers ». Pedro s'est échappé de la jungle truffée de bases militaires, caché dans un camion de papayes.
Après quelques mois de silence dans l'environnement urbain, il a décidé de repartir en Amazonie, pour terminer son travail. Le temps, la chaleur, ou l'humidité ont été des conditions suffisantes pour le faire passer inaperçu. Pedro se rendait dans les bases militaires pour jouer au foot avec ces mêmes uniformes qui, quelques mois auparavant, le traquaient.
© 2013 Laura Mosquera