« la meilleure théorie de la beauté, c'est son histoire. Penser l'histoire de la beauté implique de se pencher sur les usages qu'en font des communautés spécifiques »•Susan Sontag, Un argumento sobre la belleza (Al Mismo Tiempo, ensayos y conferencias, 2007, ed. Mondadori.)
La série Currambero, de Noëlle Lieber, renvoie à une toponymie liée au surnom que reçoivent les habitants de la région de Baranquilla, ville colombienne fondée au XVIIe siècle. Barranquilla est un lieu dans lequel le métissage a fortement impliqué la zone caribéenne mais aussi le Moyen-Orient et l'Europe. Ce territoire, peuplé par des indigènes originaires des Caraïbes et de l'Amérique Centrale, a été occupé après la Contre-Réforme espagnole par des vagues successives d'Arabes, de Maures, et de Juifs. À la différence du reste des villes des Caraïbes colombiennes, Barranquilla a été progressivement peuplée par les espagnols expulsés des villes voisines telles que Carthagène ou Santa Marta, qui contredisaient l'éthique catholique soutenue par le gouvernement de Castille et sa représentation territoriale, la Vice-Royauté du Nouveau Royaume de Grenade. Ville de passage, longtemps sitio de libres, Barranquilla deviendrait par la suite le port d'arrivée principal en Colombie pour des milliers d'immigrés à la fin de la Première Guerre mondiale. Au début du vingtième siècle, Barranquilla obtint le titre de Portique Doré de la République, et un peu plus tard dans le même siècle, celui de Porte d'Or de la Colombie et de Curramba, la Belle – « Curramba », étant la prononciation inversée de l'abbréviation « Barranq. » En revenant sur l'histoire de ce surnom, Noëlle Lieber nous invite à entrer dans cette zone de la géographie colombienne et à nous pencher sur la construction iconographique de l'Amérique Latine perçue comme un désir véhément de réappropiation de son territoire, et de sa ferveur magique. Un des signes flagrants dans cette série de pièces, concerne l'usage de l'espace bidimensionnel, à fonds plats, comme si ces scènes n'avaient de place que dans l'imaginaire. C'est là qu'opère cette rencontre entre les Amériques et l'Europe, une Amérique cette fois dépourvue de plumes et d'étendards, et qui s'incarne plutôt dans la figure d'un homme au teint brun, de conformation épaisse, à demi-nu et à l'expression nettement virile, qui n'est pas sans rappeler le priapisme. Tandis que ces femmes vêtues à la mode des années vingt incarnent une Europe bien loin des idéaux virginaux et puritains, alors pourtant encore en vigueur. L'ordre proposé par l'artiste à travers ces dialogues improbables désigne certains des aspects propres aux premières représentations que se faisaient les sociétés européennes sur les populations et les topographies indigènes, convoquant une certaine idée de l'Amérique. Cette série de dessins effectués à la tempéra est traversée par la flore et la faune, des masques et des atours chamaniques évoquant, sous ces latitudes, la diversité de l'univers religieux et spirituel amérindien. Il s'agit là de toute une symbolique autochtone en lien avec un univers imaginaire d'hommes archaïques, sous le regard ethnocentriste d'une série de femmes « affolées » des années vingt. Renvoyant aux cultes du soleil, des allusions constantes à l'utilisation de substances hallucinogènes, tout comme aux plantes dotées de propriétés spirituelles, transparaissent à travers la vigueur virile de ces hommes curramberos et à travers la force lumineuse irradiée sur la flore. On remarque, en poursuivant l'exploration de cette rencontre improbable entre des hommes « barbares » et des femmes « modernes », la couleur dorée qui parsème les illustrations, de manière surnaturelle, évoquant une inspiration divine, tandis que le doré est dans le même temps un symbole de la royauté sur le Vieux Continent. Il est important de rappeler ici que les dynasties de la couronne espagnole insufflèrent leur autorité à travers leurs représentations dans les provinces américaines, les monarques n'ayant jamais foulé ces terres. C'est pourquoi la manipulation des gouverneurs ou des instances de représentations fut davantage possible aux Amériques qu'en Espagne, et ces illustrations nous montrent des figures monarchiques évaporées, disséminées au profit de règnes plus abstraits, et aussi majestueux que le soleil. Dans l'Amérique des Vice-Royautés, aussi bien lors des célébrations encadrant les serments des nouveaux rois que lors des funérailles, les images agissaient comme instrument de propagande et de persuasion au profit de la souveraineté espagnole et des pouvoirs locaux qui en étaient tributaires. Le champ esthétique des illustrations de l'artiste conserve les traces de cette structure symbolique par laquelle elle redessine sur les blasons et les étendards choisis, pour les y circonscrire, son propre univers cosmologique. Noëlle Lieber reprend ainsi une bizarrerie graphique du XVIIe siècle présente aux obsèques de Luís Ier de Bourbon en reproduisant la mention « Petit aurea coelum », qui symbolise la constellation de Bérénice dans les armoiries originales qui cherchaient à rehausser la pureté des pensées du monarque. Dans la représentation qu'en fait l'artiste, l'une de ces femmes minaude avec un amérindien sous la couronne impériale, et sous l'augure d'un « ciel doré ». Des plantes succulentes et épineuses comme le cactus sont arrivées sur le vieux continent à travers des graines emportées par des oiseaux migrateurs, ou par des troncs au gré des courants marins. L'exotisme de cette Amérique originaire atteint ces femmes du début du vingtième siècle en Europe, aux mouvements suggestifs et provocateurs, dotées de l'audace caractéristique de ces premières Européennes émancipées. Chacune d'entre elles est à l'affût de ce qu'imprime l'imaginaire américain européanisé : exotisme, abondance, virilité surnaturelle. Les représentations symboliques de l'empire néo-grenadin, les blasons aux armes des villes, la flore et la faune autochtones, les dieux de l'antiquité, les vertus accompagnant les monarques hispaniques sur leurs portraits sont ici des éléments repris dans un syncrétisme presque baroque. Jouant avec le scandale sur ces illustrations de femmes du cancan cernées de masques de cultes précolombiens, ces demoiselles lèvent les jambes et agitent leurs jupons de façon provocante. La couleur dorée contraste avec le noir qui, en termes héraldiques, devrait être un symbole de pudeur, de modestie, de prudence et de discrétion. L'Amérique précolombienne, mais aussi méso-américaine et européanisée de Noëlle Lieber, tout comme l'héraldique pétrie de symboles, présente les éléments de l'identité américaine comme une collection d'apologues pour penser notre contemporanéité visuelle.
“La mejor teoría de la belleza es su historia. Pensar en la historia de la belleza significa concentrarse en su uso en manos de comunidades específicas.”Susan Sontag, "Un argumento sobre la belleza"1
La serie Currambero de Noelle Lieber toma su toponimia del mote que reciben los habitantes de la zona de Barranquilla, ciudad colombiana cuyas tierras fueron legalizadas en el siglo XVII. Barranquilla fue un lugar en donde el mestizaje tuvo mayor imbricación entre el Caribe, Medio Oriente y luego Europa. Este territorio, poblado por indígenas caribe procedentes de Mesoamérica en principio, fue ocupado durante la Contrarreforma española por oleadas periódicas de árabes, moros, moriscos y judíos. A diferencia del resto de las ciudades del Caribe colombiano, Barranquilla fue poblándose lentamente por los españoles expulsados de ciudades lindantes como Cartagena o Santa Marta, quienes contradijeron la ética católica de la gobernación de Castilla de Oro y su eventual entidad territorial del Virreinato del Nuevo Reino de Granada. Ciudad de paso, que con el tiempo se consideró sitio de libres, Barranquilla habría luego de tornarse en el punto de entrada principal a Colombia por parte de miles de inmigrantes luego de la Primera Guerra Mundial. A comienzos del siglo XX, se ganó el apodo de "Pórtico Dorado de la República" y, mediando el mismo siglo, el de "Puerta de Oro de Colombia y Curramba", la Bella -“Curramba”-, como pronunciación inversa de la abreviatura "Barranq". Siguiendo este sobrenombre, Lieber nos adentra en esta zona de la geografía colombiana para dar cuenta de la construcción iconográfica de América Latina como deseo de apropiación vehemente de su territorio y su fervor mágico. Un signo primero en estas obras es el uso de un espacio bidimensional, con fondos planos, como si estas escenas sólo tuvieran sitio en lo imaginario. Allí se da este encuentro entre América y Europa. Una América sin plumas y su habitual carcaj sino más bien como un hombre de tez oscura, contextura gruesa, semidesnudo y clara expresión viril rayando el priapismo. Europa es el desenfado en mujeres de los años veinte que bien lejos se encuentran del entonces ideal virginal y ascético de mujer. El ordenamiento que Lieber nos ofrece en estos improbables diálogos designa algunos de los elementos de las tempranas representaciones europeas de la población y topografía originarias americanas según su “idea de América”. Esta serie de dibujos a la témpera está plagada de flora y fauna de estas latitudes, máscaras y trajes chamánicos amazónicos para hablar de la diversidad del complejo religioso y ceremonial americanos. Toda esta simbología autóctona se desarrolla en un universo imaginario de hombres arcaicos bajo la mirada etnocentrista de una serie de mujeres “alocadas” de la década del 20. Hay constantes referencias al uso de alucinógenos, tan vinculados a los cultos solares , como plantas que contienen el poder del espíritu y lo expresan en el vigor viril de sus hombres curramberos y en la cantidad de luz concentrada en la flora. Siguiendo la improbabilidad de este encuentro entre hombres “bárbaros” y mujeres “modernas” el color dorado surca los dibujos, como color sobrenatural y de inspiración divina. A la misma vez, el dorado es símbolo de realeza para el viejo continente. Es importante recordar aquí que las dinastías hispánicas cobraron gran relevancia en las gobernaciones americanas ya que nunca fueron visitadas por sus monarcas. Es por esto que la manipulación de las representaciones de sus reyes fue mayor en América que en España misma; aquí las imágenes sustituyeron a los monarcas ausentes, difuminando sus personalidades en favor de reyes abstractos tan majestuosos como el Sol. En la América virreinal, tanto en las celebraciones de los juramentos de los nuevos reyes como en sus pompas fúnebres, las imágenes obraron como instrumento de propaganda y de persuasión de la soberanía de la corona española y de su jerarquía gubernamental. La categoría estética de los dibujos de Lieber conserva las huellas de esta escritura simbólica donde la artista reescribe su propio programa astrológico en los escudos que elije para enmarcar algunos de sus dibujos. Lieber toma una rareza gráfica del siglo XVII -presente en las exequias de Luis I de Borbón- al reproducir “Petit aurea coelum”, que simbolizaba la constelación de Berenice en el jeroglífico original que buscaba resaltar la pureza de los pensamientos del monarca. En la representación de Lieber, una de estas mujeres coquetea con un hombre americano bajo una corona imperial, coronados por un “cielo dorado”. Plantas suculentas y espinosas como el cactus llegaron al Viejo Mundo por medio de semillas transportadas por pájaros migratorios o troncos en corrientes marinas. El exotismo de esta América originaria llega a las mujeres europeas de Lieber de principios de siglo XX en movimientos provocativos, en el desparpajo propio de estas primeras mujeres europeas emancipadas de su carga ancestral femenina. Todas ellas deseosas de lo que dicta el imaginario europeizado de América: exotismo, abundancia, virilidad sobrenatural. Las representaciones simbólicas del imperio neogranadino, escudos de armas de las ciudades, flora y fauna autóctonas, dioses de la antigüedad, y virtudes que acompañan a los monarcas hispánicos en sus retratos son aquí elementos para una hibridación casi barroca de Lieber. Jugando al escándalo en su dibujo de mujeres cancán con máscaras de adoración precolombinas, sus señoritas alzan sus piernas y mueven sus faldas provocativamente. El dorado aparece en contraste con el negro que, en términos heráldicos, debiera ser símbolo de pudor, modestia, prudencia y discreción. América precolombina, también mesoamericana y europeizada en Lieber, como la heráldica, plena de simbología, muestra los elementos de la identidad americana como colección de apólogos para pensar nuestra contemporaneidad visual.