Relèvements pour une cartographie

Andrea Fernández Traduit de l'espagnol (Argentine) par Aline Benchemhoun
        J’aimerais écrire un récit qui soit une carte. Avec ses limites, ses irrégularités, ses chemins croisés. L'histoire de la recherche d’un lieu. Le personnage – une femme –, grandit comme tout le monde en entendant parler de ce lieu dans des chansons, des émissions de télé, des jeux que lui apprennent les plus grands, et dans tous les récits qu'elle a lus. Un de ces lieux – sans coordonnées exactes – dont aucune preuve tangible n'atteste l’existence, mais qu'à entendre nommer si fréquemment, tous les jours par tout le monde, on croit à portée de main. Pour confirmer la description qu'on en fait. Pour le rêver et en rapporter des histoires, et nourrir encore plus le désir de partir à sa recherche. Le personnage devra être conscient que le problème réside dans l’incertitude d’arriver à ce lieu et non à un autre. Le défi sera de le distinguer et de le reconnaître. On pourra faire figurer sur la carte les itinéraires de ses recherches. Elle sera attentive à l’éventualité d’arriver n’importe où et se convaincre que c’est bien là ; ou au contraire à celle de trouver ce lieu, de le confondre avec un autre et de continuer à chercher en s’appliquant à donner un sens à sa vie.

        Peut-être ne devrais-je pas essayer de le décrire. Me contenter plutôt d'une esquisse pour l’imaginer, partager ces prémices, laisser le champ ouvert à différentes possibilités, ne pas essayer d'y arriver, se maintenir à distance, mais faire des pointillés pour suggérer sa présence. Ne jeter que des notes et quelques flèches fines qui se promènent, qu'on peut suivre dans plusieurs directions. Des flèches qui donnent la possibilité de se perdre à celui qui s’abandonne. Et qui offrent à l'ingénieux de nouveaux ponts.

        Peut-être une image muette plutôt qu’un récit. Sans titre. Qui se donne à voir sans explication mais avec la conviction que quelqu’un (en silence) sans interprétation ni référence aucune, comprend cette carte, et sa destination. Mais sans chercher le clin d’œil, le baiser impétueux ou le geste de complicité. Sans dévoiler ce désespérant secret en partage, éclairé et muet. Sans, non plus, utiliser la carte pour arriver quelque part, parce qu’il faut bien savoir qu’il y a autant de cartes qui mènent à ce lieu que de personnes qui essayent de l'atteindre.

        Peut-être devrais-je incarner moi-même le personnage, voyager et découvrir des paysages, des histoires d’explorateurs ; parcourir les forêts, les mers, le désert, les villes nouvelles et anciennes. Boire manger danser parler, regarder profondément les inconnus dans les yeux, jusqu’au jour où je saurai quoi dire.

        Peut-être n'ai-je qu'à nommer ce lieu, comme tout le monde, comme les chansons, les émissions à la télé, les jeux, les récits, comme celui qui ne sait pas où aller et qui désire vivre en cherchant.